La constance à tout prix est-elle en train de tuer votre entreprise en silence ?
Avez-vous remarqué comme le mot « cohérence » est devenu omniprésent dans nos conversations professionnelles ? De la stratégie de marque au leadership, en passant par la communication, nous vénérons la constance comme une vertu cardinale du business. « Soyez cohérents dans vos messages », « maintenez une expérience client constante », « assurez-vous que votre leadership est prévisible »… Ces mantras sont si profondément ancrés dans notre psyché collective qu’ils sont rarement remis en question.
Dans presque tous les domaines de l’entreprise, la cohérence est érigée en principe fondamental. On nous enseigne que les clients détestent les surprises, que les équipes ont besoin de stabilité, et que les marchés récompensent la prévisibilité. Être constant, c’est être fiable. Être incohérent, c’est être amateur.
Cette vision binaire mérite pourtant d’être sérieusement nuancée.
Car si la cohérence apporte effectivement structure et confiance, une constance excessive peut se transformer en piège mortel. La quête obsessionnelle de constance peut facilement devenir synonyme de rigidité, d’aveuglement face au changement et, ironiquement, de parfaite cohérence sur le chemin du déclin.
La vraie question à se poser est donc : à quel moment la constance cesse-t-elle d’être une force pour devenir un frein à l’évolution nécessaire ?
Kodak a fait preuve d’une constance remarquable dans sa vision du marché de la photographie – jusqu’à ce que cette cohérence même l’empêche de s’adapter à la révolution numérique. Nokia est resté admirablement cohérent dans sa conception du téléphone mobile – juste assez longtemps pour rater complètement le virage des smartphones.
Ces exemples nous rappellent une vérité dérangeante : parfois, c’est précisément l’incohérence apparente qui sauve une entreprise. L’abandon opportun d’une stratégie cohérente au profit d’une rupture délibérée peut représenter l’acte de leadership le plus courageux.
Pour les organisations, cette perspective implique plusieurs changements fondamentaux :
- Distinguer constance et pertinence – La vraie question n’est pas « sommes-nous cohérents avec ce que nous avons toujours fait ? », mais « sommes-nous pertinents face à la réalité actuelle ? ». La pertinence doit primer sur la constance.
- Cultiver l’incohérence stratégique – Paradoxalement, il faut institutionnaliser la remise en question régulière des principes établis. Microsoft sous Satya Nadella en est l’exemple parfait : c’est en rompant résolument avec la stratégie historique de l’entreprise qu’il a orchestré sa renaissance.
- Repenser le concept de pivot – Les changements de cap ne devraient pas être considérés comme des échecs de cohérence, mais comme des preuves d’intelligence adaptative. Amazon vendait des livres. Puis tout autre chose. Cette « incohérence » a créé l’une des entreprises les plus puissantes au monde.
- Communiquer l’intention derrière le changement – L’incohérence problématique n’est pas celle qui est assumée et expliquée, mais celle qui est niée ou dissimulée. Paradoxalement, on peut être parfaitement cohérent dans sa façon de gérer l’incohérence.
Bien sûr, cette réflexion n’invalide pas toute forme de constance. La cohérence des valeurs fondamentales, des engagements éthiques ou de certains aspects de l’expérience client reste essentielle. Mais elle nous invite à distinguer la constance tactique (potentiellement dangereuse) de la constance des principes (généralement vertueuse).
Alors, êtes-vous sûr que votre quête de cohérence n’est pas en train de se transformer en immobilisme confortable ? Votre organisation est-elle capable de cultiver le courage d’être délibérément incohérente quand la situation l’exige ?
Dans un monde où le rythme du changement s’accélère constamment, la plus grande cohérence pourrait bien être de savoir quand être incohérent.